Journaliste, Historien du socialisme
et de la Franc-maçonnerie.
Guy Mollet (1905 - 1975)
Guy Mollet (1905 - 1975)
Allocution de Denis Lefebvre au vernissage de l’exposition consacrée à Guy Mollet. Arras, le samedi 4 mars 2006
Après avoir commenté l’exposition présentée dans la salle des gardes de l’Hôtel de Ville du 4 au 18 mars, Denis Lefebvre, président du Centre Guy-Mollet, a prononcé l’allocution suivante :
Guy Mollet revient dans « son » Hôtel de Ville, un peu plus de trente ans après son décès, en octobre 1975.
Le lieu est symbolique, à quelques pas du bureau qu’il a occupé comme maire d’Arras pendant un peu plus de trente ans, à quelques centaines de mètres de l’appartement dans lequel il a vécu avec sa famille pendant des décennies, au 33 de la place des Héros.
Quelques points et temps forts dans la vie de Guy Mollet, pour la resituer dans le cadre de cette exposition.
Le poids de la guerre et de la paix.
Cet élément a été présent tout au long de sa vie. Né en 1905, Guy Mollet a été marqué dans sa jeunesse par la Première Guerre mondiale, dont son père est revenu gazé, avant de décéder en 1931. On imagine combien cela a dû marquer le jeune enfant, puis l’adolescent, mais aussi l’homme. D’ailleurs, quand il entre en socialisme, à partir de 1923, Guy Mollet appartient en permanence aux courants les plus pacifistes de la SFIO, et il est partisan des accords de Munich, en 1938. Et pourtant, il entre très tôt en Résistance pendant la Seconde Guerre mondiale, participant au combat avec certains de ses amis et camarades d’avant-guerre, dont les noms figurent sur la plaque installée à l’entrée même de cet Hôtel de Ville : Raoul François, Louis Helle, Pierre Baudel, etc. Des enseignants, des syndicalistes, des socialistes, des francs-maçons. Le poids de la guerre est donc évident. C’est à partir de 1944 que Guy Mollet entend tirer les leçons du passé et changer la société en prenant sa part dans la reconstruction du pays, donc en se lançant en politique active, partant à la conquête de mandats électoraux. On pourrait noter enfin que les références à la guerre et à la paix sont déterminantes en 1956, quand éclate la crise de Suez. C’est en référence à la période qui a précédé la Seconde Guerre mondiale (celle de trop nombreux renoncements) que Guy Mollet choisit une politique de fermeté vis-à-vis de Nasser, en affirmant la volonté de ne pas céder à un dictateur. Il reprenant alors la formule de Léon Blum… prendre le risque d’une guerre pour sauver la paix. Pour sauver en l’occurrence l’État d’Israël, menacé de disparition.
Le poids de la guerre, enfin, on le trouve bien présent chez Guy Mollet chaque année, à l’occasion des anniversaires de la Libération, quand il s’agit de commémorer le sacrifice des résistants, notamment à l’occasion de la traditionnelle manifestation dans les fossés de la Citadelle d’Arras, là où sont morts plus de 200 d’entre eux. Dans ce lieu symbolique entre tous, le rendez-vous est poignant. Guy Mollet ne manque jamais ce retour sur le passé, sur son propre passé… le doute est parfois bien présent, non sur le sens du combat de l’époque, mais sur le monde qui a été bâti ensuite. À cet égard, le dernier discours qu’il prononce en 1975, quelques semaines avant son décès, est bien révélateur, quand il évoque le sacrifice des martyrs :
« Ils étaient différents dans leurs idées politiques, philosophiques ou religieuses. Nous aussi.
Ils n'avaient pas tous la même conception du monde à bâtir. Nous non plus, peut-être.
Mais la liberté c'est, entre autres choses, le droit d'être différents.
Or, sans rien renier de leurs convictions, nos martyrs en étaient venus à une meilleure compréhension mutuelle, à la tolérance, puis à l'amitié et surtout à l'union.
Ce qu'ils ont fait alors, nous, leurs camarades et avec nous, nos enfants et nos petits-enfants, saurons-nous le faire contre la réapparition du fascisme et pour l'organisation d'un monde où soient organisées et garanties la liberté et la paix ? Si nous quittions ce haut lieu avec cette volonté d'union, c'est alors que nous serions fidèles à leur mémoire et que nous donnerions un contenu aux espoirs nés de la Libération. »
Dès 1964, pour le vingtième anniversaire de la Libération, il a écrit pour les lecteurs de Nord-Matin, toujours en évoquant les combattants de l’ombre :
« Ce qu'ils voulaient ainsi refaire et transformer c'était aussi la Cité, la Société. Reconstruction et Révolution, tels étaient plus ou moins consciemment, les vrais thèmes de leur action, de notre action.
Qu'en avons-nous fait ?
Certes, et quoi que certains prétendent, la Nation a été reconstruite, sa richesse reconstituée et il faut beaucoup de mauvaise foi pour se refuser à voir ce que les républicains ont fait de la France depuis 1944.
Mais où est la Révolution ? Qu'avons-nous fait de nos grands rêves ?
Des transformations sont intervenues, des réformes ont été apportées. Mais...br />
À certaines heures, la tristesse l'emporte et l'on s'interroge. Seraient-ils morts pour rien ceux que nous avons connus et tant aimés ? Est-ce pour refaire la même société injuste qu'ils ont fait le sacrifice suprême ? Que nous diraient-ils s'ils pouvaient nous demander des comptes ? Tout ce qu'ils ont détesté refleurit à nouveau : l'égoïsme, le repli sur soi-même aussi bien individuel que national, le mensonge, la tricherie, le bourrage de crânes, l'intolérance, etc. »
L’attachement de Guy Mollet à sa ville.
Elu en 1945, Guy Mollet a façonné sa ville, une ville à laquelle il s’est identifié, une ville qui s’est identifiée à lui. Où qu’ils aillent en France, et parfois même à l’étranger, dans les années 1956 ou 1960, les Arrageois se présentaient comme originaires de la ville de Guy Mollet, on les reconnaissait comme tels. Cette ville, Guy Mollet l’a voulue moderne, tournée vers l’avenir. Un bâtisseur, le développement d’Arras-Ouest en atteste. Mais il est bien d’autres exemples. Un aménageur aussi : chaque quartier nouveau était doté des services publics nécessaires à son épanouissement, notamment les écoles. Il a porté des efforts particuliers dans le domaine de la santé, veillant par exemple à l’hôpital d’Arras, dont le centre des prématurés a été à sa mise en place le plus moderne d’Europe. Il a voulu le développement économique d’une ville jusque-là un peu endormie ; il s’est lancé très tôt dans l’établissement de relations étroites avec les communes voisines, mettant en place un district. Même souvent absent d’Arras, retenu en France et à l’étranger par ses nombreuses activités, il a toujours suivi de très près l’évolution de « sa » ville.
Cette action, Guy Mollet l’a menée à bien avec des équipes successives, sachant déléguer. Ces équipes ont comporté, tout au long de ses 40 ans, bien des personnalités variées : Georges Pernin, Oscar Cléret, Pierre Brunet. Léon Fatous, bien sûr. Mais aussi Georges Auphelle, Marcel Roger, Joseph Brongniart, André Delehedde ou Gustave Viart. Chacun participant à cette œuvre collective avec sa personnalité, ses convictions, ses capacités. Ces noms sont le reflet de la vie politique locale : de l’alliance avec les centristes pendant une bonne partie des IVe et Ve Républiques à l’union de la gauche avec les communistes et les démocrates de progrès en 1971. Il faut à cet égard rappeler qu’Arras, sur l’impulsion de Guy Mollet, a été en 1971 la première commune française de plus de 30000 habitants à réaliser l’union de la gauche.
Un pédagogue.
Guy Mollet est resté un « prof » tout au long de sa vie. Il y a quelques minutes, avant d’inaugurer cette exposition, j’ai croisé certains de ses anciens élèves du collège d’Arras, qui m’ont raconté en quelques mots le « pédago » Guy Mollet, pion puis professeur d’anglais : un homme au service de ses élèves, ouvert sur son époque, passionné par les techniques nouvelles d’éducation, aimant aussi animer des ateliers de théâtre. Il a aussi été un « prof » en socialisme. On le mesure en lisant ses discours dans des congrès socialistes : il aime expliquer, argumenter, convaincre, prendre son temps pour que chacun comprenne et puisse, ensuite, se faire sa propre idée. Cet amour de la pédagogie, on le retrouve dans les dernières années de sa vie, quand il crée en 1969 l’OURS, Office universitaire de recherche socialiste : une école de réflexion pour adapter la doctrine à la réalité, pour mieux préparer l’avenir. En 1973, il est interrogé par Jacques Chancel, dans le cadre de l’émission « Radioscopie ». Chancel lui demande : « Vous êtes ancien président du Conseil, vous êtes ancien secrétaire général de la SFIO, n’y a-t-il pas quelque nostalgie à dire ancien ? » Il répond : « Oui, c’est vrai, je suis ancien tout cela, mais je suis nouveau patron de l’OURS, c’est-à-dire qu’enfin je réalise le rêve de mes 18 ans : un prof, et un prof en socialisme. » Il a retrouvé avec l’OURS la fougue de la jeunesse, malgré le poids des ans, constituant une équipe, impulsant les travaux, à la fois président de l’Office et secrétaire de rédaction.
Un homme de tolérance et de conviction.
Cet homme a été au confluent, par son père et sa mère, de deux religions : catholique et protestante. Il s’en sentait l’héritier, au point d’imposer à ses deux filles, lui laïc, agnostique, franc-maçon, des rudiments de connaissance religieuse… « Vous déciderez ensuite seules », lui déclarait-il alors qu’elles regimbaient. C’était, à n’en pas douter, sa conception de la laïcité. Tolérance aussi, quand il engage, en 1952, en liaison avec son ami le MRP Jules Catoire (par l’intermédiaire de Maurice Deixonne et François Méjan) des négociations secrètes, ultra secrètes, avec le Vatican, pour tenter de régler les problèmes et rapports entre la France et le Vatican. Mais Guy Mollet a été aussi un homme de conviction. En tant que militant engagé dans la société pendant plus de 50 ans, du syndicat au Parti, prenant toutes ses responsabilités pour que la société évolue et progresse dans la paix sociale. Un homme farouchement attaché à son parti. Un homme rejetant l’hypocrisie de l’apolitisme, y compris au niveau local.
Un homme d’action.
Guy Mollet ne s’est jamais contenté de faire du socialisme « en chambre », mais a toujours entendu faire bouger le monde, en prenant ses responsabilités. C’est le sens de son engagement en politique, de l’action qu’il a menée en tant qu’élu. C’est aussi le sens de son passage à la présidence du Conseil en 1956-1957. Cette période est encore à étudier, bien sûr, notamment parce qu’elle reste controversée, marquée par des avancées sociales importantes (comme la troisième semaine de congés payés), mais hypothéquée par la Guerre d’Algérie. Il reste que cet homme d’action, pendant toute cette période, a pris ses responsabilités, assumant ses décisions.
Un européen.
À cet égard, le poids de la guerre est bien sûr déterminant. Après ces deux guerres mondiales (en réalité une seule, commencée en 1914 avec l’assassinat d’un archiduc et se terminant en 1945 avec l’explosion d’une bombe atomique, pour reprendre l’analyse de Claude Fuzier), que faire pour assurer la paix, au moins sur le continent européen ? Construire l’Europe. Guy Mollet en a été l’un des artisans les plus conscients et actifs. C’est à cet immense chantier qu’il s’attelle dès la Libération ou presque, devenant même en 1950 le premier ministre chargé de cette question. Ayant vite compris que les États-Unis d’Europe ne pourront pas se construire, même s’il pouvait le regretter, il s’engage en faveur de la construction européenne par tranches, on disait alors « autorités spécialisées », pour avancer par étapes concrètes, malgré l’échec de la CED. La signature sous son gouvernement des traités de Marché commun et d’Euratom sera une étape déterminante à cet égard. Une étape seulement, tant sa vision de la construction européenne était plus vaste. C’est ainsi, par exemple, que durant cette période il a toujours voulu laisser la porte ouverte à la Grande-Bretagne, pour que ce pays puisse rejoindre l’Europe quand il le voudrait, alors que d’autres voulaient une position plus tranchée, voire définitive. L’entrée de la Grande-Bretagne dans l’Europe, en 1972, a constitué pour lui un grand succès, même s’il n’était plus « aux affaires » : cette entrée a prouvé que sa position en 1956-1957 était juste, et porteuse d’avenir.
L’homme, enfin.
Guy Mollet, aux yeux de certains de ses adversaires, et même de certains de ses amis, n’était pas facile. Les épreuves de la vie et des décennies de lutte l’avaient sans aucun doute marqué. Il a subi des attaques nombreuses, et même la calomnie. Il en a souffert, surtout quand elle ne venait pas de ses adversaires (les dernières années de sa vie, à cet égard, ont été difficiles…), mais cette calomnie, comme il l’a déclaré lui-même, l’a rendu « terriblement orgueilleux. L’opinion que j’ai de moi a tellement plus d’importance que celle qu’ils peuvent avoir ».
Dans ses archives, figurent sur un petit morceau de papier ces quelques mots : « Malgré les hommes, confiance à l’homme ». Guy Mollet croyait au devenir de l’homme, convaincu que l’action de l’homme (pour une part) et l’évolution des sociétés (essentiellement) transformeront les hommes, jusqu’au jour où ils seront maîtres de leur destin. Là est l’une des clés pour comprendre Guy Mollet, une clé sans doute impulsée par son engagement politique, mais aussi philosophique, l’un et l’autre indissolublement liés. Un homme engagé, donc, mais toujours convaincu qu’il y a une part de vérité chez l’autre. Un homme responsable, assumant ses décisions quand il a été au pouvoir. Un homme qui est resté jusqu’à la fin en accord avec lui-même, ayant toujours foi dans l’idéal du socialisme.