Journaliste, Historien du socialisme
et de la Franc-maçonnerie.
Claude Fuzier
La politique a dominé la vie de Claude Fuzier.
C'est une tuberculose contractée au sortir de l'adolescence qui en a décidé ainsi, alors qu'il se destinait à des études d'histoire, et voulait être professeur. Il obtient une licence et un diplôme d'études supérieures d'histoire, mais doit finalement travailler dans le privé, la fonction publique lui étant interdite. Il entre aux NMPP (Nouvelles Messageries de la Presse Parisienne) en 1946.
Dès cette époque, il a rejoint les rangs du Parti socialiste SFIO. Il cache alors sa condition : dans ce Parti qui fonctionne encore selon les schémas ouvriéristes du passé, un intellectuel est forcément un bourgeois, donc mal vu ! Il s'impose cependant peu à peu, comme militant politique et syndical. Syndical ? C'est après 1947 l'adhésion naturelle à FO, Confédération qu'il ne quittera jamais, contre vents et marées. Il refuse la mainmise du politique sur le syndicalisme, et donc du mouvement communiste sur le syndicat. Dans cette guerre froide naissante, il a choisi son camp, et ne changera d'opinion que lorsque le mouvement communiste évoluera. Jusque-là, il y a une guerre à mener. Le militant syndical participe aussi à la vie de son parti. Secrétaire des jeunesses socialistes de la Seine en 1948, il s'attelle à la reconstruction des groupes socialistes d'entreprise, dont il devient le responsable pour la Région parisienne puis au plan national, entre 1951 et 1958.
1956 voit une nouvelle étape dans sa vie politique et sa carrière. Il entre au cabinet d'Albert Gazier, ministre des Affaires sociales dans le gouvernement Guy Mollet. L'année suivante, il devient secrétaire général de la fédération socialiste de la Seine, jusque-là dominée par les amis de Marceau Pivert. Entre ces derniers et les proches de Daniel Mayer, il anime une tendance qui passe pour « molletiste », ce qui est loin d’être le cas. D’ailleurs, à cette époque, il a de sérieuses difficultés avec les partisans du secrétaire général dans le département, parmi lesquels Pierre Giraud et Robert Pontillon, et même Pierre Mauroy, quoi qu’on puisse lire ici ou là.
Dans le même temps, ses talents de propagandiste et de journaliste se voient reconnus. En 1957, il devient éditorialiste du quotidien de la SFIO, le Populaire de Paris. De 1963 à 1970, il en sera rédacteur en chef, participant aussi à l'aventure de l'hebdomadaire Démocratie, lancé en 1959 par Guy Mollet. Au fil des années, il s'est révélé être un grand analyste du quotidien, par ses éditoriaux au style incisif. Il terminera sa carrière de journaliste à l'Unité, l'hebdomadaire du Parti socialiste né à Épinay, où il traitera surtout des problèmes de politique étrangère, à côté de critiques littéraires, sous le pseudonyme de Georges Frameries. Craignait-on ses analyses trop tranchées en matière de politique intérieure ?
Le journaliste Claude Fuzier était la plume de la SFIO, assumant en toute liberté cette responsabilité, même quand il n'était pas d'accord avec la ligne politique de son Parti, ce qui lui arriva à de nombreuses reprises entre 1956 et 1962. Mais il appliquait en permanence cette phrase de Léon Blum : « On n'a jamais raison contre son Parti. »
Ce n'est qu'en 1962, la Guerre d'Algérie terminée et la SFIO entrant pleinement dans l'opposition, qu'il rejoindra Guy Mollet, pour s'intégrer au mouvement de rénovation et de rajeunissement du mouvement socialiste. Dans le même temps, sont enregistrés des signes de plus en plus concrets de changement au sein du mouvement communiste. Alors, s'ouvre une nouvelle phase : celle des contacts et des négociations. À côté de ses activités publiques et connues, Claude Fuzier entre dans l'ombre, une place qui lui convient tout à fait, convaincu comme l'a écrit de lui un jour le chroniqueur Philippe Alexandre, que « les grandes victoires se fabriquent laborieusement, et dans l'ombre ». Choisi à la fois par le PCF et par Guy Mollet, il mène dès 1962 des négociations secrètes avec le PCF avec comme objectif d'étudier les conditions d'un rapprochement entre les deux partis séparés depuis 1920. Ce débat est de caractère idéologique : étudier en commun si ce qui a divisé les deux partis depuis la Révolution russe de 1917 reste encore d'actualité. Mais, dans le même temps, les deux partenaires apprennent à se retrouver, à travailler ensemble sur des objectifs précis. C'est dès cette époque, par exemple, que socialistes et communistes se retrouvent dans certaines associations (contre la force de frappe, ou pour la liberté en Espagne, etc.) où ils militent en commun.
Claude Fuzier est de tous ces combats. Parallèlement, il agit dans le Parti socialiste. Membre du bureau du Parti depuis 1963, il partage tous les combats de Guy Mollet pour ancrer davantage encore la SFIO à gauche, et pour regrouper toutes les forces socialistes éparpillées dans divers regroupements, clubs, petits partis. Il faut refaire l'unité, mais une unité sur les valeurs socialistes. Sans état d'âme, il combat le projet de fédération tournée vers le centre, voulue par Gaston Defferre à partir de 1963 : un combat d’un autre temps. Il est l'un des animateurs de la Fédération de la gauche démocrate et socialiste mise en place à partir de 1965 autour de François Mitterrand, dont il est le secrétaire général entre 1968 et 1969.
Après 1969, le voici secrétaire national du nouveau Parti socialiste dirigé par Alain Savary. 1971 voit son retrait de toute vie politique active au sein du Parti socialiste, même s'il est membre du Bureau du Parti jusqu'en 1973. Il reste jusqu'au bout fidèle aux idées et au combat politique de Guy Mollet, au sujet duquel il a écrit, en 1990, dans une lettre à Harlem Désir « qu'il avait plus le souci du faire que de paraître, quoi qu'il ait pu en coûter à sa réputation », et il participe à la mise en place, en 1969, de l'OURS, Office universitaire de recherche socialiste, dont il devient président en 1990. Dans le même temps, il est sénateur de la Seine Saint-Denis (1977-1986, 1991-1885), quelques semaines député en 1988, conseiller régional et conseiller général. Il a aussi - et surtout - été maire de Bondy (1977-1995), définissant une orientation politique tout à fait originale et exemplaire.
Une carrière richement remplie, donc, mais finalement atypique, car jamais programmée, due, comme il le disait lui-même, à une succession de hasards, de ces hasards qui font une vie. Il savait certes ce qu'il voulait, et ce qu'il ne voulait pas. C'est ainsi qu'à la fin de 1968 il a refusé la proposition de Guy Mollet de prendre la direction du nouveau Parti socialiste qui allait se mettre en place en 1969. Il n'en avait pas envie, et voulait se consacrer à autre chose.
Cette carrière ne doit pas occulter la personnalité de Claude Fuzier, sans cesse partagé entre le désir de l'action et celui de la réflexion théorique, dans la quiétude de son bureau. Les lois de la vie étant que l'homme agisse, s'investisse dans la vie de la cité, cet être singulier s'est forcé en permanence, portant la parole à qui le lui demandait, mobilisant les énergies, rédigeant des articles innombrables. Cependant, il s'est toujours voulu à la marge, sorte d'observateur parfois un peu ironique sur les hommes et sur l'évolution des structures qu'ils se donnent.
Jusqu'au bout, Claude Fuzier a cultivé les paradoxes. On le pressait de rédiger ses « Mémoires »... il avait préféré s'atteler les derniers mois de sa vie à un roman, aujourd'hui inachevé. La boucle devait être bouclée : il voulait revenir à l'écriture, bien sûr, mais pas là où on l'attendait !
La veille de son décès, en janvier 1997, il a mis la dernière main à son ultime éditorial du Journal de l'OURS, que nous avons intitulé : « Que reste-t-il de l’alternative socialiste ? » On y retrouve l'homme de plume, bien sûr, mais aussi le militant et l'analyste, reposant une dernière fois la question qui le préoccupait depuis tant d'années, nourrie de toutes les expériences de la gauche depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale : celle du pouvoir, celle du pouvoir pour quoi faire…
Cette question mérite réflexion. En socialiste qui ne se préoccupait pas uniquement de l'aspect électoral de notre action, mais qui était convaincu que ce que nous représentons s'inscrit dans une perspective plus large qui nous dépasse, Claude Fuzier l'a posée jusqu'à la fin.
Au plan politique, il n’a jamais rien demandé pour lui. Il est toujours resté fidèle à cette attitude : un homme de parti ne peut avoir d’autre ambition que de servir, à la place où le Parti le met.
Rien de plus, et rien de moins.
Denis Lefebvre