L'OURS, n° spécial, janvier-février 1997.
Le parti socialiste en France, le parti travailliste en Grande-Bretagne pourraient l’emporter aux prochaines législatives. Les sondages font apparaître cette chance - ou ce risque - et les deux organisations présentent, sous des formes variées, ce qu’il faut bien appeler des projets de programme de gouvernement. La question « le pouvoir pour quoi faire » est bien présente.
Elle l’est sous une forme bien particulière qui résulte de l’analyse des précédentes expériences gouvernementales. Le constat moyen est qu’on a fait ni pire ni mieux que les gouvernements de droite, et que ce qui semblait le plus conforme à la tradition socialiste n’a pas réussi. Bien entendu, les besoins légitimes de la propagande et les solidarités à l’égard du passé récent nuancent la présentation de ces faits. Mais une fois grattés les camouflages et les habillages reste une évidence : le socialisme n’est pas à l’ordre du jour.
On s’en doutait un peu devant d’intéressants maniements du vocabulaire. C’est ainsi que nous serions passés en France entre 1981 et 1986 d’un parti socialiste à un parti social-démocrate, ce qui ne veut rien dire du point de vue historique (le parti de Rosa Luxembourg comme celui de Lénine était « social-démocrate ») mais qui a pris une valeur historique depuis le célèbre congrès de Bad Godesberg.
Ce genre de subtilités n’a même plus de sens pour le leader actuel du parti travailliste qui annonce avec fermeté un programme de « centre gauche » et renvoie aux poubelles de l’histoire les vieilles lunes du socialisme.
Le parti socialiste français est plus prudent. Son programme se veut réaliste, c’est-à-dire réalisable dans le cadre de la société et de l’économie telles qu’elles sont. Ce parti se présente comme un parti de gouvernement, comme le parti de l’alternance et se proclame débarrassé des illusions excentriques.
Ainsi, les deux partis se donnent pour objectif de faire mieux que la droite dans la gestion de nos sociétés telles qu’elles sont et sans les remettre en cause. De la distinction fondamentale faite par Léon Blum entre l’exercice du pouvoir et la prise du pouvoir, il ne reste rien. Et le débat entre réformistes et révolutionnaires a perdu toute signification dans la mesure où ne restent que des réformistes qui, en ne remettant pas en cause la société qu’ils veulent mieux gérer, n’ont pour but réel que de la rendre supportable par le plus grand nombre.
Le siècle a donc connu une évolution particulièrement remarquable dans la mouvance socialiste, évolution due pour une grande part à la Révolution de 1917 qui a complètement dévoyé une idéologie libératrice de l’individu en la transformant en mécanique autoritaire de production. En mettant les soviets sur le même pied que l’électricité, Lénine a défini par un « bon mot » la colossale dépravation qui mettait à égalité l’homme et la machine.
Ainsi, en 1905 notamment en France, se créèrent des partis offrant une alternative au capitalisme. Cent ans après, cette offre n’existe plus et les partis en question ne sont plus que des participants à une société qu’il ne s’agit plus de faire disparaître, mais de corriger et d’améliorer.
Cette situation ne durera pas. La question est de savoir qui fera renaître l’alternative au siècle prochain. Les socialistes pourraient s’interroger aussi à ce sujet.
Claude Fuzier