Père-Lachaise, 16 mars 1998

4 mars 1998, Guy Allombert décède brutalement. Il avait été, jusqu’à son départ en retraite, le « Monsieur cinéma » de la ville de Bondy, appelé à cette responsabilité par Claude Fuzier en 1975. Claude entendait alors, en accord avec le maire de l’époque, Maurice Coutrot, à qui il allait succéder en 1977, mettre en place une politique culturelle d’une vaste ampleur, en liaison avec des élus politiques (au premier rang, Ginette Le Goc) et des administratifs : Jean-Pierre Caldérini, Jean-Claude Renaudin, Jacques Ayache, etc.
Quand Guy décède, nous sommes dans une situation locale assez troublée, née dès 1995, avec le départ de la mairie de Claude Fuzier. J’occupe alors la présidence de l’ABAC (Association Bondy Animation et Culture) qui entend autant que possible maintenir l’héritage culturel de la précédente municipalité (qui avait fait ses preuves) et continuer dans la même voie. Cette volonté est cependant contrecarrée par les nouveaux élus, qui entendent « du passé faire table rase ».
Dans mon discours aux obsèques de Guy, je rappelle les temps forts de sa vie, en m’attardant sur son action en faveur du cinéma. Ce discours n’a guère plu au maire de la commune et à son adjointe à la culture. Tous deux ont d’ailleurs quitté le crématorium du Père-Lachaise avant la fin de la cérémonie…

Quelques jours plus tard, après une rencontre avec l’adjointe en question, je note dans mon « journal » :

« Elle me lance qu'elle n'a pas apprécié mon discours aux obsèques de Guy Allombert, notamment ce passage où j'ai dit : "La confiance régnait". Me dit que chacun attendait une suite : (...) régnait en ce temps-là". Je lui ai dit qu'il n'y avait pas d'intention maligne de ma part. Je pense l'avoir convaincue. D'ailleurs, cela m'est égal.
J'ai envoyé ce discours à quelques élus locaux. Cette démarche ne semble pas avoir non plus été appréciée.
Je suis parti du principe que j'avais profité de ce discours pour rappeler un certain nombre de choses sur la politique culturelle à Bondy durant ces 25 dernières années. Autant que le maximum de gens en profitent...!!
J'ai reçu un mot très sympathique de Madame Allombert, qui me remercie pour ce discours :
« Vous avez retracé avec sensibilité et véracité sa carrière.
Je n'ai pas la "plume" de Guy pour vous exprimer toute ma reconnaissance, et vos marques d'affection me touchent profondément.
Ma famille et moi vous disons tout simplement merci. »
Là est l'essentiel, au-delà des réactions épidermiques de certains. »

Mon discours

Né le 21 février 1929, Guy Allombert nous a quittés le 4 mars dernier, et nous accompagnons ce matin sa famille, pour l’aider autant que possible par notre présence, pour lui manifester notre sympathie ou notre amitié, selon les liens qui nous unissaient les uns et les autres à lui.
De son entrée officielle à l’ABC (Association Bondy Culture) le 1er janvier 1975 à son départ en retraite le 30 septembre 1990, Guy a marqué l’histoire de notre commune, l’histoire de cette grande aventure culturelle initiée par Claude Fuzier au début des années 1970, autour de l’axe fondamental du cinéma. Mais Guy était lié depuis plus longtemps que cela au cinéma, à la vie intellectuelle, à la philosophie socialiste.
Il ne s’attardait guère en public sur son passé, au point qu’on le connaît mal. Quelques bribes ici ou là. Enseignant, il sera bientôt détaché à l’UFOLEIS. Derrière ce sigle un peu barbare, il faut lire : Union française des œuvres laïques d’éducation par l’image et le son. Chaque mot composant le nom de cette structure mériterait d’être décortiqué… « laïques », « éducation », « image », « son ». Tout Guy est dans ces quelques mots.
Bientôt, il se tourne vers la presse écrite, et assure la rubrique télévision du quotidien « Libération », le premier « Libération », dirigé par Emmanuel d’Astier de la Vigerie. L’un d’un rédacteurs en chef de ce journal est Claude Estier, aujourd’hui sénateur socialiste de Paris. Estier lui conseille de prendre contact avec un nouvel hebdomadaire qui s’est créé depuis peu, nous sommes alors en 1959 : « Démocratie ».
Cet hebdomadaire (dont le siège est au 86 de la rue de Lille, à Paris, futur siège de la FGDS puis de l’OURS) a été lancé par Guy Mollet, secrétaire général de la SFIO, et ancien président du Conseil. Hebdomadaire aux objectifs un peu nouveaux, en ces temps de divisions, en pleine Guerre d’Algérie : rassembler la gauche démocratique, ou tout au moins favoriser le débat entre ses différentes composantes. On y trouve d’ailleurs des socialistes, des démocrates-chrétiens, des socialistes autonomes. Guy intègre comme pigiste l’équipe de cet hebdomadaire, au côté de Pierre Berger, alors chargé de la rubrique culture. À côté des politiques, on trouve quelques noms qui pourront en surprendre plus d’un : Joseph Poli, Léon Zitrone, Jean Dutourd.
Très vite, notamment avec l’arrivée de Claude Fuzier à la tête du journal, nombre de ces pigistes sont remerciés, faute de financement suffisant. De tout temps, la presse socialiste a rencontré des difficultés pour vivre. Et pourtant, « Démocratie » était particulièrement bien fait et même un peu en avance sur son époque. Mais il ne pouvait guère lutter avec ce qu’on appelle déjà les « news », « L’Express » en tête. À n’en pas douter, les socialistes ont toujours un peu de mal (prudent euphémisme) à faire vivre leur presse.
Guy Allombert restera à « Démocratie » jusqu’à la fin, c'est-à-dire jusqu’à la fusion avec « Le Populaire de Paris », s’occupant de la rubrique télévision, mais s’intéressant aussi à la musique, à la critique littéraire, aux disques. On trouve en 1960 certains articles de lui où il évoque aussi bien une nouvelle interprétation de Rimsky-Korsakoff que le dernier disque de Philippe Clay, et il souligne à propos de ce dernier la vitalité de la chanson française… Ailleurs, il prendra position en faveur des télés-clubs, disparus aujourd’hui, demandant à ce que des télévisions collectives soient installées dans des endroits fréquentés par le plus grand nombre, pour que chacun puisse profiter des enseignements de la télévision. Plus tard, on le voit se prononcer avec vigueur en faveur de la stéréophonie, regrettant que nombre de mélomanes rejettent ce procédé.
Après « Démocratie », Guy – désormais journaliste professionnel – se lance dans d’autres aventures, puis Claude Fuzier l’appelle boulevard de Magenta, siège entre autres du « Populaire », pour rejoindre la modeste équipe produisant ce quotidien socialiste né pendant la Première Guerre mondiale, disparru en 1970. Il y couvre encore le secteur cinéma-télévision, et effectue quelques incursions dans la critique littéraire, de la poésie à la science-fiction. Dans le « Popu », on trouve sous sa signature nombre d’articles courts et musclés, souvent des successions de brèves. Ainsi, cette chronique « Ma semaine sur petit ou grand écran », qu’il signait parfois « Le flâneur », reprise d’un pseudonyme autrefois utilisé par Jean Jaurès. À ses côtés, on trouve dans cet hebdo les signatures de responsables de la SFIO, mais aussi celles de Vincent Gambau, Jean-Pierre Péret, Henri Marc ou Jacques-Arnaud Penent.
Nous disposons du témoignage de Guy lui-même sur cette période, à partir d’un article sur Claude Fuzier qu’il a écrit il y a quelques semaines, et qui va paraître dans un prochain « bulletin du Centre Guy-Mollet ». Guy évoque Claude, « patron quasi invisible, insaisissable, dont, pour seize heures on attendait l’éditorial », puis il ajoute : « Le Populaire fut, avec lui, une aventure passionnante. Il m’apprit à faire de la locale (parisienne) et de l’internationale, du billet d’humeur et l’art de jouer des ciseaux et de la colle avec les dépêches que crachaient nos deux télescripteurs. Un rêve… »
L’aventure du « Populaire » terminée, Guy se retrouve directeur de la maison des jeunes de Ville-d’Avray. Un jour, il voit arriver chez lui Claude Fuzier, alors maire-ajoint de Maurice Coutrot à Bondy, qui lui propose de rejoindre l’équipe culturelle qu’il est en train de constituer. Claude lui parle d’une deuxième salle de cinéma à mettre en œuvre, d’un festival de cinéma à lancer. Guy écrit : « J’hésitai. Un moment. Mais ce diable d’homme était mon tentateur. Et il m’offrait, à nouveau, l’aventure. Et le plaisir. »
Il vient donc à Bondy, début janvier 1975. Pour l’aventure, pour l’amitié. Sans contrat d’embauche. La confiance régnait.
Dès 1975, le festival des films rares ou inédits est mis en route, autour des films de guerre 1939-1945. 1975 constitue de numéro 0 de ce festival, dont la numérotation officielle commence l’année suivante. Le thème de 1976 : les films rares ou inédits de la Warner Bros. On note pour cette édition la présence de François Mitterrand, premier secrétaire du Parti socialiste. Le premier « chêne d’or » est remis à Jack Nicholson, alors pratiquement inconnu en France.
Le festival durera jusqu’en 1990, avec sa 15e édition. De dizaines de films inédits en France ont été projetés à Bondy.
Si Guy Allombert voulait rêver avec Claude Fuzier, lui-même nous a bien fait rêver toutes ces années-là : du film d’animation au cinéma japonais, sans oublier l’Australie, le cinéma espagnol, le cinéma fantastique anglais ou le mélo français des années 30. Avec, bien sûr, des années d’anthologie, qui restent encore bien présentes dans nos mémoires. Ainsi, ce festival 1978, sur les films de propagande de la Seconde Guerre mondiale. On vit même le gouvernement français de l’époque s’inquiéter des conséquences possibles de la projection de films nazis sur notre territoire national. Le ministère de l’Intérieur imposa que certains de ces films soient interdits aux moins de 18 ans.
Cette histoire sera à écrire.
Ces temps forts de la vie culturelle bondynoise s’inscrivaient dans un projet précis : le cinéma à Bondy n’était pas considéré uniquement comme un moyen de délassement, encore que cet aspect n’a jamais été négligé. Des milliers de Bondynois ont pu voir des dizaines et des dizaines de films dans deux salles municipales (Jean Giono puis André Malraux), alors que les exploitants commerciaux traditionnels avaient été chassés de la ville par l’économie de marché. À travers le festival, le cinéma s’imposera dans notre commune. Dans ce projet cohérent, seront mis des moyens matériels et une volonté politique sans faille.
Claude Fuzier pouvait écrire dans « Le Bondynois », en 1980, que le festival « est un moment de l’action en faveur du cinéma, c'est-à-dire de l’art de notre siècle. Nous avons besoin de dominer l’image, comme il nous a fallu dominer l’écrit en d’autres périodes. » Guy Allombert écrivait en écho, la même année, se félicitant du succès populaire rencontré par le festival : « Reste à tirer une conclusion provisoire de ce succès : il existe donc encore un public de cinéma. Il faut aller le trouver et lui donner une pâture qui ne soit pas cette bouillie offerte, insipide, par une télévision stérilisée. Et, le considérant comme un adulte, lui redonner un cinéma adulte. »
Donc, un combat politique, au sens plein du terme.
Ce combat passait par de  multiples initiatives qui avaient pour but de donner à nos concitoyens le goût du cinéma, et du cinéma de qualité. Pour ce faire, enfants et adolescents étaient privilégiés, et Guy ne ménageait pas ses efforts : séances pour enfants, action avec le ciné-club du lycée Jean-Renoir, etc. La pédagogie était toujours présente chez lui, mais une pédagogie vivante.
Guy était aussi présent sur le terrain politique. Celui du Parti socialiste, bien sûr. Cette action passait souvent par l’écriture. Reprenant ces derniers jours la collection du « Bondynois », je me suis replongé dans la lecture de ces billets, les « bondynoises » qu’il publiait dans chaque numéro ou presque, sous le pseudonyme de Candide.
Ceux qui suivent les activités d’écriture en particulier et de presse en général savent combien l’art du billet est difficile. Faire sourire et réfléchir en quelques lignes, bien sûr en caricaturant et en forçant le trait. Mais c’est la règle du jeu.
Guy Allombert savait rédiger des billets. Nombre d’entre eux restent des bijoux, qu’on peut relire aujourd’hui encore avec plaisir. Il frappait d’ailleurs juste, et nos adversaires locaux et départementaux n’appréciaient pas toujours son humour. Ainsi, en 1978, la feuille du néo-gaulliste Calméjane lui conseillera de signer désormais ses billets ainsi : « Le bandit noir de service ».
L’écriture, comment ne pas y revenir une dernière fois, en citant Guy Allombert, qui présentait ainsi ses vœux aux Bondynois en janvier 1983 : « Puisque l’on peut adresser ses vœux jusqu’au 31 de ce mois, laissez-moi, candidement, vous souhaiter de me lire longtemps, et dire, tout simplement, que je m’intéresserai moins aux inévitables ratés qu’à ceux qui n’ont pas oublié que, pour se pousser du col, il faut avoir quelque chose dans la cervelle. »
Guy maniait l’humour, et nous l’aimions pour cela. Il était tout cela à la fois : homme de gauche ; militant laïque ; être chaleureux et dévoué ; homme d’action pour le cinéma ; homme d’écriture ; homme qui voulait toujours être libre.
Nous l’aimions, et nous sommes tristes aujourd’hui.

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