Journaliste, Historien du socialisme
et de la Franc-maçonnerie.
Dans les locaux du 86, rue de Lille, entre Robespierre et Bracke-Desrousseaux
En janvier prochain, l’OURS s’installe à la Cité Malesherbes, en partenariat avec la Fondation Jean-Jaurès.
L’Office quitte donc son local « historique », qu’il occupait depuis 1969. Cet appartement était lié à la famille socialiste depuis 1959…
Ayant vécu cette histoire depuis son arrivée à l’OURS en 1976, Denis Lefebvre raconte…
C’est à partir de 1959 que Guy Mollet occupe, à deux pas de l’Assemblée nationale, l’appartement – 200 m2 – du premier étage du 86, rue de Lille, propriété d’une société de Marcel Dassault.
S’y installe la rédaction d’un nouvel hebdomadaire, Démocratie, dont le premier numéro paraît le 30 octobre. Un peu plus d’un an après la crise de 1958 et la scission du Parti, ce titre lancé par le secrétaire général de la SFIO s’adresse à l’électorat de la gauche non communiste qu’il entend rassembler. Il se veut moderne, ouvert vers son époque, il est vendu en kiosque. Surtout, il n’apparaît pas comme une publication socialiste « partisane ». L’équipe rédactionnelle regroupe bien sûr des socialistes, mais aussi des femmes et des hommes de gauche, dans l’acception la plus large, exception faite des éléments communistes. Quelques membres du PSA-PSU y collaborent, comme des éléments proches du MRP. Mais aussi des journalistes professionnels non militants. L’antigaullisme est de mise dans les colonnes. Le spectre rédactionnel est large, de Joseph Poli et à Roger Ikor, de Pierre Berger à Léon Zitrone, de Jean Amrouche à Pierre Thibault… Ici ou là, apparaissent Philippe Farine, François Fejto, Jean Dutourd, David Rousset, Danielle Chadeau. Bientôt, Claude Fuzier passe de plus en plus dans les locaux, devenant ensuite rédacteur en chef.
L’histoire de cet hebdomadaire reste à écrire, de sa naissance à sa disparition, en passant par la fusion en 1961 avec Le Populaire-Dimanche, l’hebdomadaire officiel de la SFIO. En septembre 1963, les difficultés chroniques de la presse socialiste imposent de nouveaux regroupements. la rédaction du Populaire de Paris, le quotidien de la SFIO, rejoint la rue de Lille où elle reste jusqu’en mars 1966, avant de laisser la place à la FGDS, Fédération de la gauche démocrate et socialiste. L’appartement devient le siège de cette nouvelle structure, mise en place fin 1965, dans la foulée de l’élection présidentielle et de la campagne du candidat unique de la gauche, François Mitterrand. Fin 1968, moribonde depuis les événements de mai 1968, la FGDS disparaît du paysage politique, et Guy Mollet récupère l’appartement.
Ayant annoncé son départ de tout poste de direction dans le nouveau parti qui se met en place en 1969 aux congrès d’Altfortville et d’Issy-les-Moulineaux il lance dans la foulée l’OURS, qui s’installe en mai rue de Lille. Dans ces locaux, avec une petite équipe de permanents (Suzanne Le Corre, Olga Duperrey, une documentaliste, Élisabeth Cazes, un ancien garde du corps de Guy Mollet, puis Pierre Rimbert), le patron de l’OURS installe sa bibliothèque et ses archives, anime les équipes de travail, reçoit les camarades de passage, veille à tout. Les locaux s’emplissent peu à peu de livres et de périodiques, les réunions de travail se succèdent, notamment les « mardis de l’OURS » qui se sont réunis pendant des années, en fin d’après-midi. Chaque mois paraissent le journal et le cahier, imprimés à Arras. Sur place, rue de Lille, sont réalisées des études par correspondance envoyées aux abonnés. Dès sa naissance, l’OURS fonctionne comme centre d’études et de recherche sur le socialisme et toutes les questions qui intéressent l’homme et sa société. Les premiers chercheurs commencent à fréquenter la bibliothèque.
Guy Mollet décède en octobre en 1975. Après de nombreuses discussions (le rôle de Jacques Piette, Ernest Cazelles et Pierre de Bénouville est à cet égard déterminant), Marcel Dassault décide de donner l’appartement en souvenir de Guy Mollet, dont il avait approuvé l’action politique, au-delà de l’appartenance à telle ou telle formation. D’autres négociations s’engagent… l’OURS n’ayant pas les moyens d’entretenir seul une telle propriété, les animateurs de l’association et la mairie d’Arras (alors dirigée par Léon Fatous) se concertent, et l’appartement est finalement donné à la ville d’Arras, pour contribuer à perpétuer la mémoire de Guy Mollet et sa dernière œuvre, l’OURS. Entrée en possession de l’appartement, la ville le loue immédiatement au Centre Guy-Mollet, qui vient alors d’être mis en place, l’OURS continuant ses activités au 86 rue de Lille : accroissement de la bibliothèque et des archives, réception des chercheurs de plus en plus nombreux au fil des décennies. Chaque association bien sûr garde sa personnalité et sa totale autonomie juridique et financière : regroupant les amis de l’ancien secrétaire général, le Centre Guy-Mollet perpétue le souvenir et diffuse des travaux de recherche sur l’action de l’ancien président du Conseil, mais aussi sur le mouvement socialiste de son époque.
La rue de Lille reste dans « la famille ». Au fil des décennies, nos locaux ont vu d’innombrables réunions s’y tenir. Celles de nos instances « de direction », conseils d’administration et bureaux, dans cette grande salle de réunion qui depuis 1959 avait reçu tant de personnalités, avait favorisé tant de rencontres. Les nôtres étaient moins « politiques », même si on y refaisait souvent le monde. Dans ces mêmes lieux, nous avons vu travailler au fil des années des dizaines de chercheurs, jeunes et moins jeunes. Nous avons pu mesurer en les accueillant les évolutions de la recherche, les thèmes à la mode, mais aussi la reconnaissance progressive (surtout à partir des années 80) de l’OURS, devenu incontournable. Peu à peu, nous avons reçu un nombre croissant d’étrangers : Américains, Argentins, Japonais, Coréens. Nous avons vu arriver chez nous de jeunes étudiants, devenus au fil des années des spécialistes incontestés dans leurs domaines de prédilection : Guillaume Devin, Marc Sadoun, Alain Bergounioux, et combien d’autres encore, tels Jacques Kergoat. Tous se sont plongé dans les richesses de l’OURS, exploitant de nouveaux fonds.
Nous étions chez nous rue de Lille… et nous avions la faiblesse de penser que ceux qui y passaient s’y trouvaient bien. L’appartement était un lieu d’accumulation de richesses (archives, livres, périodiques) même si l’espace se réduisait au fil des décennies… Lieu de travail, bien sûr, mais aussi un espace de convivialité et d’échanges. Car certains de nos amis ne venaient pas rue de Lille pour « travailler », mais pour bavarder, heureux de pouvoir le faire en toute liberté. Je pense ici à Pierre Ysmal, la serviette toujours remplie d’innombrables journaux et livres.
Mais les meilleurs choses ont parfois une fin ! L’appartement nous avait été confié en 1976 par la ville d’Arras avec un bail de 30 ans… la perte de la mairie d’Arras par les socialistes en 1995 n’a pas modifié la situation, la nouvelle municipalité respectant l’accord initial. Mais l’issue était prévisible. Dès 2005, le maire d’Arras a fait savoir au Centre Guy-Mollet (dont je suis le président) que le bail ne serait pas renouvelé aux mêmes conditions… particulièrement avantageuses, il est vrai, puisque qu’il avait été consenti au franc symbolique. N’ayant ni les moyens d’acheter l’appartement, ni de le louer au prix du marché parisien, nous avons été vite convaincus de l’inéluctabilité de notre départ, fixé à décembre 2006.
Que faire, alors ?
Mettre un terme aux activités de l’OURS ? Ce n’était pas envisageable. Disperser nos collections, nous regrouper sur une structure plus réduite et nous limiter à notre journal et à notre revue ? Une telle modification ne nous a pas paru possible, tant les activités de l’OURS sont liées et correspondent à notre image, à notre réalité, à notre histoire : bibliothèque, centre d’archives, publications, organisation de réunions diverses, de colloques.
Donc, continuer, en maintenant nos activités. Le faire en nous tournant vers ceux qui sont depuis dix ans maintenant nos partenaires privilégiés : vers la Fondation Jean-Jaurès. C’est avec cette Fondation (et avec le Parti socialiste) que nous avons signé en 1996 une convention de gestion, classement et mise en valeur des archives du Parti socialiste, convention réactualisée en 2006. Ce partenariat nous amène à travailler ensemble au quotidien, et nos fonds se complètent. Après de nombreuses rencontres et discussions, nous avons décidé de nous regrouper géographiquement, et de mettre en commun nos ressources. Nous le ferons dans un appartement, que nous louons à la Fondation, dans un immeuble voisin de son siège, Cité Malesherbes. Ce partenariat n’implique pas la disparition de nos activités spécifiques, que nous conserverons : vie de l’association, publications, nous organiserons nos réunions publiques (groupes de travail, séminaires, etc.) et internes. Nous resterons propriétaires de nos fonds, comme la Fondation Jean-Jaurès des siens. L’ensemble constitué sera géré en commun. Une dynamique nouvelle va s’installer, dont la recherche ne pourra que profiter. Nous y mettrons toutes nos forces, tous nos acquis, toute notre expérience.
Depuis sa naissance en 1969, l’OURS a connu bien des problèmes, comme toute structure humaine, souvent liés à la disparitions des amis qui s’y étaient investis. Comment, ici, ne pas évoquer le nom de Guy Mollet, son fondateur, mais aussi ceux d’amis chers, encore présents dans nos mémoires… chacun avec leurs envies et leurs capacités à servir l’OURS. Je pense ainsi à tous ceux qui ont emprunté au fil des décennies l’escalier conduisant à « notre » premier étage : Denis Cépède, Claude Fuzier, Pierre Guidoni. Combien d’autres encore, discrets, peu connus du plus grand nombre, et pourtant… Joseph Begarra et Henri Cerclier respectivement trésorier et secrétaire général de l’Office, ou encore Jacques Dubois organisateur hors pair, mais souvent rude. Je ne peux citer tout le monde, on ne m’en voudra pas je l’espère. Tous ont servi l’Office, convaincus de n’être que de passage ici bas, mais consacrant une partie de leurs activités sociales à cette oeuvre qui nous dépasse.
Un rideau se tire, et je ne vous cache pas que nous ressentons de la tristesse, en cette fin d’année 2006, moi le premier… Comment ne pas être tristes, bien sûr, car une page se tourne ! Mais une autre s’ouvre, qui permettra à l’OURS de continuer, de se développer encore plus. Le chemin que nous avons ouvert dès 1969, souvent dans l’indifférence générale, voire dans un certain mépris, ne s’arrêtera pas. Il ne peut pas s’arrêter, et nous continuerons à l’emprunter, avec vous.