Texte adopté en 1969, à la création de l’Office.

Depuis bientôt deux siècles, les idées socialistes ont commencé un lent cheminement dans l'esprit des hommes. A partir des idées de justice, de liberté et d'égalité de la Révolution française, elles se sont épanouies dans la confrontation entre l'homme et la société industrielle qu'il créait. Elles ont permis de comprendre que les aspirations à la liberté, à l'égalité et à la solidarité n'étaient pas seulement des élans généreux vers des abstractions, mais répondaient à des situations concrètes et exigeaient des solutions pratiques.

Devant une telle réalité, le socialisme a intégré diverses méthodes de l'activité humaine : il est devenu plus qu'une pratique politique ou qu'une revendication morale en affirmant ses aspects scientifiques et philosophiques. Les salariés de l'industrie naissante, maintenus dans la misère matérielle et intellectuelle par le capitalisme dans son état premier, ont alors trouvé dans le socialisme une réponse globale à leur situation.

Une nouvelle période des sociétés industrialisées a commencé lorsque le capitalisme a utilisé ses salariés, en tant que source principale de ses profits, non plus uniquement comme producteurs de matières premières ou de produits finis, mais tout autant comme consommateurs de ces matières et de ces produits. La consommation de masse est devenue la règle aux États-Unis d'abord, en Europe occidentale ensuite.

Des sociétés collectivistes se sont créées dans la même période historique. Aspirant, dans la théorie, à créer un nouveau type d'homme libéré de toutes les oppressions, elles se sont à leur tour engagées pour l'essentiel de leur pratique dans la course à la consommation. Elles ont ainsi retenu du socialisme, avec d'ailleurs des justifications de circonstance souvent légitimes, ses aspects économiques ou scientifiques, sacrifiant en contrepartie sa philosophie libertaire et ses valeurs morales.

Enfin, dans le même temps que se révélait chez l'homme une prise de conscience collective au niveau des classes, des nations ou même de l'humanité, il était conduit à s'interroger plus que jamais sur sa propre signification.

Parce qu'il ne peut accepter d'être le simple reflet de la réalité qui l'entoure, parce qu'il porte en lui-même les acquis accumulés par une évolution multimillénaire, parce que, pour survivre, il a été contraint à la nécessité d'une vie en société génératrice de comportements, d'obligations et d'interdits, l'homme a créé les conditions d'une contradiction permanente entre l'individu qu'il est et la société sans laquelle il ne peut plus être. Ainsi, l'analyse de l'homme en tant qu'être social conduit à comprendre les ressorts les plus cachés de l'esprit humain.

Aujourd'hui, la réalité visible permet d'établir un premier bilan. D'une part, il est vrai qu'une partie de l'humanité marche plus ou moins vite vers l'abondance matérielle. Des progrès considérables ont été faits dans le domaine de la lutte contre l'ignorance. Des prouesses techniques prodigieuses ont été réalisées. La vie matérielle est plus douce pour des centaines de millions d'hommes et de femmes, qui bénéficient d'avantages et de protections techniques ou matérielles contre une partie des oppressions.

D'autre part, il est vrai que les deux tiers de l'humanité vit toujours en état de sous-développement et que le fossé se creuse entre les peuples prospères et les peuples pauvres. Il est également vrai que des formes nouvelles d'oppression sont apparues, que le capitalisme a été amené à conditionner le consommateur, à prolétariser l'esprit, à coloniser l'État et que les formes du collectivisme ont adopté des méthodes de conditionnement des hommes pratiquement identiques. Il est vrai enfin que, quelle que soit la doctrine affirmée, aucun des régimes qui se partagent actuellement la responsabilité du monde n'a su ou pu renoncer au recours à la violence dans les relations internationales.

Ainsi, pour la grande majorité des humains, deux voies sont ouvertes selon le lieu de leur naissance. Pour les uns, la perspective d'une existence matériellement difficile ou désespérée, avec comme première préoccupation de survivre en étant les jouets de forces lointaines et écrasantes. Pour les autres, la perspective d'une course vers des biens matériels toujours plus nombreux et toujours plus envahissants, avec un sentiment de frustration lorsqu'on ne peut y accéder, et en définitive une situation tout aussi aliénante que la première devant des puissances décidant sans contrôle des choix économiques et, bien souvent, des destinées politiques.

Le socialisme ne peut se satisfaire de cette situation et des solutions qu'elle implique. Parce qu'il veut rendre à chaque homme la maîtrise de son destin, il condamne et rejette toutes ces formes de l'oppression. Il est avec ceux qui, prenant conscience de leur état d'opprimés, veulent s'en libérer. Mieux, il est lui-même, par son essence et par sa logique, la révolte constante contre l'oppression et ne transige pas dans un combat total, puisqu'il a pour but non seulement de tenir compte du besoin des hommes au bonheur matériel, mais encore de leurs aspirations spirituelles.

Ainsi, en face du capitalisme et du totalitarisme politique et culturel, le socialisme dresse un double barrage : celui de ses réponses techniques et celui de la morale vécue qu'il entend assumer au nom de la liberté.

Dans ce cadre général, la situation française insère sa propre originalité. D'une part, la France est toujours dominée par la société et la culture capitalistes. D'autre part, les travailleurs, toujours aussi lourdement exploités même lorsque l'exploitation a pris des aspects plus confus, y sont partagés entre des courants souvent rivaux.

Le socialisme a donc pour première responsabilité pratique le rassemblement et l'union dans un combat commun de toutes les victimes de l'exploitation capitaliste. S'il ne tentait pas, sans relâche, d'obtenir l'unité de toutes les forces du monde du travail, il renoncerait délibérément à instaurer tôt ou tard une société de caractère socialiste.

Un tel résultat ne peut être atteint que dans la mesure où le socialisme refuse ou de se défigurer en cédant sur l'essentiel ou de soumettre son action unitaire au gré des circonstances.

Agir pour l'unité suppose la continuité dans les efforts et le refus de les ralentir devant les péripéties, aussi importantes soient-elles, de la vie politique. Et cela suppose également le respect rigoureux des principes et des exigences de la démocratie socialiste qui doivent être réaffirmés publiquement, simultanément avec l'effort unitaire.

Une rigueur identique doit l'animer devant le problème de la prise du pouvoir ou de la participation au pouvoir, alors qu'il combat encore au sein d'une société capitaliste.

Le compromis au profit de cette société ne pourrait que la consolider, alors qu'elle est l'origine principale des oppressions subies par notre peuple et qu'elle tend, confirmant d'ailleurs l'analyse des fondateurs du socialisme, à prolétariser matériellement et intellectuellement la quasi-totalité de la population.

Le socialisme ne peut donc participer à des formes de pouvoir qui, dans la pratique, prolongeraient et renforceraient la vie des structures capitalistes. Chacune de ses actions doit être exclusivement appréciée en fonction de l'étape qu'elle permet de franchir vers la mise en place d'une société de démocratie socialiste.

Le socialisme revendique le pouvoir dans la France du XXe siècle, mais pas n'importe quel pouvoir, ni dans n'importe quelle condition.

Enfin, en soulignant avec force que le socialisme est un phénomène de caractère international, la doctrine socialiste montre d'une part l'unité profonde de l'humanité et, d'autre part, la nécessité permanente d'une action permettant de résoudre dans l'égalité et dans la paix les inévitables conflits propres à toutes les collectivités humaines. Alors que trop souvent s'exaspèrent les nationalismes, que la force est considérée comme le moyen le plus sûr d'asseoir ce qui ne devrait s'imposer que par la raison et le dialogue, le socialisme propose l'objectif fondamental de l'organisation de la Paix par la disparition progressive des antagonismes nationaux.

Telles sont les idées essentielles sur lesquelles nous nous sommes rassemblés au sein de l'Office universitaire de recherche socialiste en vue d'en approfondir le contenu et l'apporter des réponses à la grande incertitude de notre temps. Ceux qui aspirent à la réflexion au-delà des péripéties de la lutte quotidienne, ceux qui ressentent profondément la nécessité d'ajouter un maillon supplémentaire à la longue chaîne de l'étude socialiste, ceux qui sont persuadés que la force des idées est garantie par l'approfondissement qu'on en fait, ceux qui sont convaincus que la fidélité aux idéaux exige une rigueur constante et novatrice à l'égard de ce qu'ils représentent, doivent venir nous rejoindre. Nous en appelons à celles et ceux de tous âges et de toutes origines qui, ayant apporté leurs espérances au socialisme et y ayant trouvé de nouvelles raisons d'espérer, sont décidés à aller au fond des choses.

Les personnes intéressées par un historique des trente premières années de l’OURS pourront se reporter au dossier « 30e anniversaire de l’OURS » publié dans le n°7 (juin 1999) de la revue recherche socialiste, éditée par l’Office. On y trouve des articles de Pierre Guidoni, Édouard Boeglin, Guy Bordes, Jacques Fleury, et de moi-même.


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